Théâtre d’ondes, théâtre d’ombres

Le son est un corps vivant
– une peau, une chair

Théâtre d’ondes, théâtre d'ombres
René Farabet

« Passé le temps de l’expérience, quand vient le moment de se retourner, que reste-t-il ? Quelques milliers de sons relégués dans des chambres froides, pris dans la glace, guettés par l’oubli. Mais dans l’oreille même persiste comme un clapotis intermittent : l’oreille a la forme d’un coquillage, et la mémoire y travaille par vagues successives, puis en goutte à goutte, avant de s’évaporer. C’est à partir de ce bruissement déjà lointain, indistinct parfois – fragiles traces mnésiques qu’abandonne le phénomène sonore lors de son passage – que va s’aventurer la réflexion. Fouillis d’images, bribes disséminées qui peu à peu s’effritent, et que tente de récupérer le « chiffonnier » dont parle Walter Benjamin, ce « ramasseur de restes » auquel on finit par s’identifier. Ainsi s’agit-il moins de compiler des savoirs que des affects – empreintes fugitives de vécu, de ressenti. Paroles de pure résonance, sans volonté normative ou démonstrative, et sans l’ostentatoire exhibition de « boîtes à outils ». De simples petits panneaux signalétiques plantés ça et là, en marge de l’opération sonore (et particulièrement du parcours radiophonique).

L’écoute est au coeur de tout travail sonore. Cela suppose une oreille écarquillée, où sont conviés à résonner, irradier, des voix aux multiples éclats, venues d’ailleurs se mêler à un bourdonnant conciliabule : ce tour à tour de chuchotements par lequel on se dédouble et dialogue en sourdine avec soi, pour échapper au morne soliloque. »

2011, Champs Social

“(…) faire éclater les vieux modèles narratifs… Mentionnons pêle-mêle : l’abandon de la linéarité du récit, le collage de tissus textuels disparates, des compositions polyphoniques, le choix de structures musicales, sérielles, répétitives, etc. / des personnages-actants, des voix qui se dédoublent, le recours aux citations  /des références à d’autres techniques d’expression artistique – peinture, musique, cinéma / une approche transversale des genres, un mélange fictif-réel, objectif-onirique / la démystification de l’outil radiophonique, la mise en évidence des moyens de fabrication, le recours à des procédés de distanciation, “la radio dans la radio”, une multiplication des didascalies / l’éclatement spatial avec l’avènement de la stéréophonie / un travail sur la matérialité du son, des jeux polysémiques, etc.”

“Tracer une sorte de chemin narratif – développement conceptuel, progression émotionnelle, scansion du récit. Questionner la réalité, en faisant clignoter les sens, en descellant les signes souvent convenus que nous envoie le monde, en les portant au-delà d’eux-mêmes, en les frottant les uns aux autres, seraient-ils aussi irréductibles que les particules dont parle la philosophie grecque. La radio est un mélangeur, un lieu de pluralité et de convergence, de ramification, de friction, de métissage. Art combinatoire.”

“Le son est un corps vivant – une peau, une chair (muscles, fibres, nerfs, ligaments, veines, etc.). Si tu l’entailles avec rudesse et l’écharpilles, ne t’attends pas à le voir exhiber tranquillement ses entrailles, à la manière des écorchés souriants figurés sur les planches du 18ème siècle : il gémit, crie, saigne – chair meurtrie, moignon de corps démembré, martyrisé.
(…) Pour façonner le son, en modeler le profil, rectifier l’allure, corriger le débit, etc., c’est un chirurgien qui convient : ce sont de fines opérations mécaniques de dissection, abrasion, diérèse, exérèse, aphérèse, greffe… On tranche, incise, rabote, évide, décolle, perce, retouche, déplace, réarticule, ligature, agrafe, suture…”

“Interroger le réel, c’est l’annoter et c’est le connoter, c’est le recycler, le confronter à d’autres contextes, le déterritorialiser, c’est le “dévergonder” et le fictionner, l’entrainer du côté de la métaphore, vers une scène de l’impossible.”

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Bref Éloge Du Coup De Tonnerre et Du Bruit D’ailesThe Peregrine
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