Manières d’être vivant
Ce qu'il faut réinventer par là,
c'est une cosmopolitesse
Manières d'être vivant
Baptiste Morizot
Imaginez cette fable : une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la “nature”. À savoir : non pas des êtres mais des choses, non pas des acteurs mais le décor, des ressources à portée de main. Une espèce d’un côté, dix millions de l’autre, et pourtant une seule famille, un seul monde.
Cette fiction est notre héritage. Sa violence a contribué aux bouleversements écologiques. C’est pourquoi nous avons une bataille culturelle à mener quant à l’importance à restituer au vivant.
Ce livre entend y jeter ses forces. En partant pister les animaux sur le terrain, et les idées que nous nous faisons d’eux dans la forêt des savoirs. Peut-on apprendre à se sentir vivants, à s’aimer comme vivants ? Comment imaginer une politique des interdépendances, qui allie la cohabitation avec des altérités, à la lutte contre ce qui détruit le tissu du vivant ? Il s’agit de refaire connaissance : approcher les habitants de la Terre, humains compris, comme dix millions de manières d’être vivant.
2020, Actes Sud, Mondes Sauvages
“Accepter notre identité de vivant, renouer avec notre animalité pensée ni comme primalité à surmonter, ni comme sauvagerie plus pure, mais comme héritage riche à recueillir et à moduler, c’est accepter notre destin commun avec le reste des vivants”
“Nous allons nous coucher, légers comme seule la résonance le permet : le sentiment que nous pouvons dialoguer avec le monde, que, malgré son étrangeté, il nous entend, il nous répond ; que nous pouvons, l’espace de quelques échanges, déchirer le mythe moderne du mutisme de l’univers. Qu’en fait, si l’on fait le travail diplomatique de traduction, d’intercession, si l’on se déplace dans cette zone frontière où les formes spécifiques se brouillent, il est possible d’entrer en contact avec tous les aliens familiers.”
“Plus largement, est pisteur tout humain qui active en lui un style d’attention enrichi au vivant hors de lui : qui l’estime digne d’enquête, et riche de significations. Qui postule qu’il y a des choses à traduire, et qui essaie d’apprendre.”
“Tout sentiment d’avoir le cœur net, d’être dans son droit, est à bannir, sinon on ne fait pas justice à la relation même, c’est-à-dire à tous ceux qui y sont pris, emberlificotés dans mille tissages de relations qui vont du confit au soin, de l’exploitation à l’amour, à cette nuance près qu’on partage un même territoire, où l’habitat de l’un est le tissage de tous les autres.”